Le modèle de l’acteur unique de décision

Chaque modèle décisionnel peut correspondre à un processus de prise de décision propre à l’entreprise. La décision est, soit le choix d’un acteur unique, soit le produit d’une organisation, soit le résultat d’un jeu politique.

Dans cet article, on va présenter le modèle de l’acteur unique : ses caractéristiques, ses exemples, ses portées et ses limites

Caractéristiques

L’organisation se confond avec un acteur unique, homogène, rationnel, conscient de lui-même et de son environnement, et doté d’objectifs et/ou de préférences relativement stables.

Parler de modèle de l’acteur unique ou de modèle monorationnel, alors que l’expression modèle rationnel est plus souvent utilisée, se justifie pour deux raisons. D’une part, il faut éviter de suggérer que les autres modèles supposent des acteurs irrationnels, ce serait une erreur ; d’autre part, il convient de mettre l’accent sur le fait qu’une seule logique d’action est à l’œuvre.

La décision est assimilée au raisonnement d’un acteur unique, individuel ou collectif, réel ou fictif, dont la conduite est rationnelle en ce sens qu’il cherche à maximiser la réalisation de certaines fins, en utilisant les moyens dont il dispose.

Le degré de pureté ou de sophistication de cette rationalité peut être très variable selon les acteurs et les situations, mais il s’agit d’une monorationalité qui exclut tout conflit sur les objectifs et sur la façon de décider.

L’action se déduit des objectifs et/ou des préférences (confrontés à une situation donnée). Les objectifs sont clairement et précisément définis, et l’organisation les sert comme un seul homme.

Les préférences sont stables (dans le temps), mutuellement exclusives, pertinentes (elles s’appliquent sans difficulté aux situations concrètes), exhaustives (il n’y a pas de situation à laquelle elles ne puissent s’appliquer) et exogènes (le cours de l’action ne les modifie pas).

Le processus de décision se résume à une succession d’étapes logiquement enchaînées :

  • formulation du problème ;
  • repérage et explicitation de toutes les actions possibles ;
  • évaluation de chaque action par des critères dérivés des objectifs ou des préférences ;
  • choix de la solution optimale.

On peut ajouter des raffinements, et la théorie économique ne s’en prive pas : probabilités, évaluation du risque, coût de l’information. La nature du raisonnement reste toutefois la même.

La capacité de changement est entièrement subordonnée à la volonté de l’acteur, dans les limites des contraintes objectives que lui imposent son environnement et ses ressources. L’action étant la conséquence de choix cohérents avec les objectifs, la maîtrise du changement n’est pas problématique.

Exemples de modèles de l’acteur unique

Le choix des investissements

Le modèle monorationnel est à la base de la théorie et du calcul économiques ; il inspire une grande partie des techniques de gestion. Ainsi, la procédure de choix des investissements, telle qu’elle est formulée par les spécialistes de gestion financière, se découpe en quatre phases :

  • détermination des objectifs prioritaires de la politique d’investissement, en fonction de la stratégie de l’entreprise ;
  • génération des propositions d’investissements, chaque projet est caractérisé par : l’investissement initial, les flux financiers générés, la durée de vie et la valeur résiduelle ;
  • évaluation des projets : à partir des caractéristiques précédentes, les projets sont évalués en fonction de critères financiers homogènes, par exemple le taux de rentabilité interne (TRI) ou la période de remboursement ;
  • sélection des projets : les projets qui dépassent le seuil fixé pour les critères (par exemple, un TRI supérieur à 12 %) sont adoptés ; si l’on doit sélectionner un seul projet, on choisit celui qui présente la meilleure performance.

Cette démarche, présentée ici de manière simplifiée, peut montrer une grande sophistication technique, notamment dans la prise en compte du risque, mais la logique reste la même.

La stratégie selon le modèle de Harvard

Les multiples modèles d’analyse stratégique présentés dans la première partie de cet ouvrage sont tous des variantes du modèle monorationnel de décision, appliqué à la formulation de la stratégie. D’une certaine manière, ils sont l’héritage de la première des « écoles » de la stratégie, « l’école du design» qui a produit le « modèle de Harvard », ou modèle LCAG, présenté au début de cet ouvrage.

Pour « l’école du design », la démarche stratégique vise à réaliser une adéquation entre les caractéristiques de l’environnement et celles de l’entreprise. Elle réside essentiellement dans la réflexion consciente et contrôlée que mène le dirigeant pour formuler une stratégie qui sera ensuite mise en œuvre conformément à son intention.

Le modèle de l’acteur unique cognitif

Le modèle de l’acteur unique a récemment été revitalisé par l’apport d’une perspective cognitive. Il a été admis que les raisonnements des décideurs n’avaient pas la rigueur qu’on leur avait supposée. La psychologie cognitive expérimentale a en effet identifié de nombreux biais cognitifs, qui représentent des écarts de la pensée humaine « naturelle » par rapport au calcul rationnel.

La figure 1 en présente les principaux.

Étape du processus de décisionBiais cognitifsEffets
Formulation des buts et identification du problèmeAncrage : le décideur est attaché à son jugement initial et peu sensible à l’information nouvelle et divergente.

Engagement et escalade : le décideur poursuit l’action engagée d’autant plus qu’elle ne produit pas les effets attendus.


Raisonnement par analogie : le décideur transpose des cas simples connus aux cas complexes.

• Non-perception d’indices et d’écarts

• Minimisation des écarts
• Non-révision de la stratégie

• Sur-simplification du problème
• Stratégie non pertinente


Production d’un éventail de solutions stratégiquesFocalisation sur une solution préférée d’emblée : le décideur ne voit que les avantages de la solution qu’il préfére a priori, et ne voit que les inconvénients des autres solutions.

Fausse représentativité : le décideur généralise abusivement à partir de situations passées, d’essais, d’expériences de cas.
• Peu de solutions vraiment étudiées
• Rejet prématuré

• Évaluation insuffisante de la solution préférée
• Mauvaise appréciation des conséquences de la solution
Évaluation et sélection d’une solutionIllusion de contrôle : le décideur surestime son degré de contrôle sur le cours des choses.

Dépréciation des solutions incomplètement décrites.
• Mauvaise appréciation des risques

• Rejet prématuré de solutions
Biais cognitifs et décision stratégique (d’après C.R. Schwenk1 FIGURE 1 )

Les décideurs ont également recours à des analogies et des métaphores pour simplifier la réalité à laquelle ils sont confrontés, et trouver des référents qui leur permettent de définir le type d’action souhaitable. Ils développent des hypothèses et des croyances sur l’environnement et sur leur organisation.

Leurs raisonnements suivent les itinéraires tracés par des « cartes mentales », réseaux cognitifs établissant des liens entre des éléments perçus comme déterminants. La figure 2 montre une de ces cartes mentales, reconstituée à partir des modes de raisonnement d’un dirigeant d’entreprise.

L’approche cognitive montre ainsi que la phase de délibération, qui est centrale dans le modèle de l’acteur unique, suit des processus complexes et difficilement maîtrisables, qui ne respectent pas les canons de la rationalité normative. Cet aménagement du modèle laisse intacte l’idée fondamentale selon laquelle la stratégie procède avant tout de la pensée et de la volonté du dirigeant, mais admet que cette volonté et cette pensée ont leur part d’obscurité.

Le modèle de l’acteur unique
Figure 2 : Carte mentale du secteur de l’édition (dirigeant d’un groupe d’édition international et diversifié)1 (d’après R. Calori, P. Samin)

Portée et limites du modèle de l’acteur unique

Le modèle de l’acteur unique se présente sous de multiples habillages. Il est le seul modèle utilisé dans l’enseignement des sciences de l’ingénieur et des sciences économiques, et de très loin le modèle dominant dans celui des sciences de gestion. Quelles qu’en soient les versions, il revient à considérer la décision comme le travail intellectuel d’un acteur unique.

Systématisé par l’économie néo-classique, le modèle mono-rationnel a plusieurs avantages. Il correspond à la représentation naturelle de l’action pour un Occidental. Il est encore plus évident à un Français ayant reçu une éducation cartésienne.

Ses versions fondées sur l’idée d’une rationalité substantive universelle (celle du calcul économique) ont permis des formalisations élaborées, utilisant des outils mathématiques et des techniques quantitatives, qui se révèlent puissantes dans le cas de problèmes bien structurés et répétitifs.

Ses versions qualitatives, utilisant les apports de la psychologie cognitive, ouvrent la voie au développement d’aides à la décision d’une nouvelle nature, travaillant sur les représentations des dirigeants.

Les critiques adressées au modèle mono-rationnel sont aussi nombreuses que ses avatars.

Une première remarque consiste à observer que les théories de l’acteur unique sont le plus souvent du type normatif et non explicatif. Elles répondent à la question comment faire ? plutôt qu’aux questions comment ce choix at-il été fait ? ou pourquoi cela s’est-il passé ainsi ?

En second lieu, on peut retenir les critiques très synthétiques faites par l’un des pères de l’analyse scientifique des processus de décision, J.G. March, qui met en évidence les hypothèses sous-jacentes à ce modèle.

Le modèle mono-rationnel suppose que la décision est l’adaptation logique d’un acteur unique doté de préférences cohérentes et stables à un événement extérieur.

De plus, le modèle monorationnel suppose que les changements observés sont les résultats des choix volontaires et libres de ce décideur individuel ou collectif. Il nie l’existence des conflits et des stratégies des individus et des groupes.

Enfin, ce modèle suppose qu’il y a une relation directe entre l’importance donnée à une décision quand elle est prise et l’importance de ses résultats.

Ce principe, selon lequel les grands effets sont produits par de grandes causes, est, malheureusement pour le modèle mono-rationnel, souvent infirmé par l’expérience.

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