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Les procédures d’animation d’un projet

L’élaboration du modèle standard de l’ingénierie, dans les années soixante, a constitué une innovation importante dans l’organisation et la gestion des projets à coûts contrôlés. Sous la pression internationale conduisant à la recherche d’une réduction des délais de conception de produits nouveaux et de leurs coûts, les entreprises manufacturières ont cherché à importer les techniques de gestion de projet.

Cette transposition dans les projets à rentabilité contrôlée a rapidement montré ses limites, principalement en raison d’une incertitude plus forte sur les spécifications invalidant une partie des instrumentations disponibles. Il a donc fallu imaginer des organisations alternatives s’appuyant sur la concourance.

Par ailleurs, le contrôle détaillé d’un projet à coûts contrôlés s’appuie sur une instrumentation éprouvée qui implique une certaine distribution des rôles, somme toute assez classique. Mais un usage tatillon de ces procédures a conduit à l’émergence de formes alternatives de contrôle pouvant s’appuyer sur des compétences nouvelles.

Introduction de la concourance dans les projets à rentabilité contrôlée

On examinera successivement le passage de la séquentialité à la concourance, l’organisation en plateau et les processus de coordination.

Le passage de la séquentialité à la concourance

Dans le modèle traditionnel, les projets apparaissent comme une séquence d’étapes successives confiées à des experts différents (métaphore de la « course de relais » de Nonaka et Takeuchi, 1986).

Dans ce contexte, la solution trouvée à l’issue d’une phase du projet devenait une contrainte pour les acteurs de la phase suivante (par exemple, le dessin d’un produit par le bureau d’études devient une contrainte pour la définition des gammes opératoires pour le bureau des méthodes).

Les démarches modernes, dénommées ingénierie simultanée ou, mieux, ingénierie concourante, introduisent deux ruptures importantes par rapport à ce modèle.

Elles organisent, dès le départ, la mobilisation de toutes les expertises pour améliorer la prise de décision des différentes étapes dans une perspective plus large (métaphore de la «ligne de rugby»).

Pour reprendre notre exemple, si deux pièces doivent être rendues solidaires et que, pour ce faire, il revient strictement au même d’utiliser des rivets ou une soudure, l’avis du bureau des méthodes permettra de choisir l’alternative la moins pénalisante pour eux. Elle s’appuie sur la constitution d’équipes pluridisciplinaires.

Elles organisent le chevauchement entre les différentes phases du projet: spécification du produit, spécification du process, choix des fournisseurs, choix industriels… Ceci afin, d’une part, de mieux traiter les interdépendances entre ces variables et, d’autre part, de réduire le délai global du développement.

L’application de ces principes permet d’anticiper les problèmes avant que l’irréversibilité du projet ne les rende trop pénalisants. Elle se traduit par des allongements de phases mais leurs chevauchements permettent de raccourcir le délai du projet (voir figure 1 ci-dessous).

Les méthodologies de l’ingénierie concourante mettent donc l’accent sur l’intégration organisationnelle et physique des différents acteurs d’un projet (organisation en plateau évoquée ci-après) mais aussi des informations échangées.

La gestion documentaire, au sens large, et la maîtrise des outils de communication deviennent un enjeu majeur qu’accentue la tendance à la spécialisation et donc à la multiplication des partenaires. Des efforts importants doivent également être consentis tout au cours du projet pour structurer, archiver les informations et en faciliter l’accès.

L’hétérogénéité des structures de représentations des objets, des nomenclatures et des gammes, constatée d’une entreprise à une autre, mais aussi souvent d’un service à un autre, constitue un frein aux échanges et génère des dysfonctionnements et coûts importants.

Les nouveaux outils télématiques (outils de groupware, internet, etc.), facilitant la désynchronisation temporelle et spatiale des échanges, permettent de nouvelles formes de coopération dans certains projets.

Les procédures d’animation d’un projet
Figure 1 : comparaison entre le développement concourant et le développement séquentiel

L’organisation en plateau

Cette mobilisation des expertises est facilitée par la mise en place de plateaux qui réunissent physiquement dans un même lieu, de manière permanente et non occasionnelle, les responsables internes ou externes (sous-traitants et co-traitants) de la conception du produit et du processus, ceux de la fabrication et parfois, ceux de la vente et de l’après-vente de ce produit, au moment de la conception d’un produit manufacturé complexe ou d’un sous-ensemble techniquement cohérent de ce produit.

Les commodités de communication directe et l’usage de maquettes de l’objet en cours d’élaboration facilitent l’intégration de points de vue, une meilleure négociation des contraintes et la recherche de solution globalement plus efficientes, à condition toutefois que ces acteurs jouissent d’une certaine délégation décisionnelle de la part de leurs services d’origine et qu’une dynamique de groupe se crée autour du projet.

La recherche systématique de la concourance pour réduire les coûts et délais de conception peut conduire à repenser radicalement l’agencement de l’espace. Le Technocentre de Renault, inauguré fin 1997 et accueillant 7500 personnes, majoritairement des ingénieurs, constitue un exemple remarquable de ce type de mutation. Les fonctions d’anticipation et d’apprentissage du plateau peuvent se décrire au travers de quatre processus (Garel, 1996).

a) Les acteurs transversaux

Les acteurs transversaux comme les chefs de projets alertent les acteurs-métiers sur les risques de la non-anticipation, portent l’évaluation économique dans les débats techniques des acteurs-métiers, tranchent éventuellement des différends ou les recadrent, aident à définir et à évaluer des alternatives.

b) Les instruments de gestion

Les instruments de gestion (contrats, jalons, abaques, indicateurs…) ont pour fonction essentielle de fixer des jalons contraignants aux acteurs-métiers et donc de construire des échéances pour des acteurs aux logiques différentes.

Sous certaines conditions l’existence d’une échéance pousse à l’expression des demandes, des suggestions, à remonter les crises en amont, en un mot mobilise. Il ne suffit pas de rendre les acteurs du projet responsables d’une échéance, il faut aussi leur fournir les moyens d’assumer cette responsabilité.

Le plateau crédibilise et «opérationnalise» la contrainte de l’échéance. Plus généralement on voit ici que la régulation économique est liée au contexte organisationnel dans lequel elle opère. Grâce au plateau, les acteurs peuvent se coordonner. Ils ne peuvent plus, comme dans une organisation séquentielle s’abriter derrière la défaillance de ceux qui n’ont pas ou ont mal réalisé le travail avant eux.

c) Le contact direct

Des recherches montrent que la communication est d’autant plus fréquente que les acteurs sont proches les uns des autres. Nonaka (1994) ajoute une autre condition: la taille du groupe. Au-delà de dix à trente personnes les équipes de conception ne pourraient plus interagir.

En pratique, les plateaux sont constitués de petits groupes séparés les uns des autres mais qui peuvent communiquer entre eux ou, dans le cas de grands projets de type A notamment, on trouvera plusieurs plateaux.

Le plateau crée une familiarité entre ceux qui y participent. En même temps, sous le regard des autres, chaque participant se sent jugé. Si le contact direct n’est pas toujours possible entre les experts idoines, l’activité du plateau n’est pas pour autant bloquée.

Elle est en effet indispensable pour déployer la résolution des problèmes aux experts qui ne peuvent être «colocalisés» et, ensuite, intégrer de manière pertinente, les réponses dans le cadre du projet. Les traditionnelles questions en sciences de gestion de délégation et de gestion par exception resurgissent avec acuité dans les activités de projet.

Lorsqu’un acteur est présent sur le plateau, l’important n’est pas seulement ce qu’il sait techniquement, mais aussi sa capacité à aller chercher dans son métier les solutions (c’est-à-dire parfois ceux qui les détiennent) aux problèmes posés.

d) Les objets physiques

Sur les plateaux, les objets physiques remplissent une double fonction. Ils permettent d’expliciter des savoirs tacites nécessaires à l’activité. Sur le plateau, les savoirs techniques doivent s’exprimer, exister socialement et ne pas rester confinés au monde parfois symbolique de leurs détenteurs. Ils s’expriment non seulement par la parole, mais aussi par le figuratif ou l’action.

Les objets physiques sont un mode privilégié d’expression du savoir technique: sur le plateau, des dessins sont croqués, des photos sont prises, des bouts de pâte à modeler (afin de modifier les maquettes en temps réel), des morceaux de papier ou de bois des pièces de véhicules de série, des maquettes… sont utilisés. Le rôle des objets physiques est donc d’aider la verbalisation ou de faire comprendre à l’autre en lui montrant, en lui faisant écouter, en lui faisant éprouver.

Nonaka (1994) appelle «externalisation» le processus par lequel le savoir (technique) tacite des acteurs de l’entreprise se transforme en savoir explicite. Les objets physiques ont également un pouvoir de convergence fort en mettant fin à des altercations parfois violentes: la matière rend à l’évidence.

Ensuite, les objets physiques portent une partie de la mémoire du projet et des projets antérieurs. Une maquette «porte» en elle les savoirs de ses concepteurs. L’objet physique peut se lire et se décoder. Le raisonnement est analogique selon Nonaka (1994) qui considère que les objets physiques et plus particulièrement les prototypes agissent comme des «métaphores» dans l’explicitation des savoirs tacites.

Processus de coordination et relations interfirmes

L’une des tendances actuelles de l’organisation des projets est d’élaborer un double processus de coordination: une coordination procédurale et une coordination par des contrats sur objectifs de résultat. La mise en œuvre de cette tendance se traduit par une évolution duale.

À l’intérieur de l’entreprise, on formalise des contrats internes avec les contributeurs métiers de l’entreprise. Entre les entreprises, on favorise une intégration organisationnelle des contributeurs en les obligeant à participer aux plateaux, aux groupes de suivi des projets, etc.

Le monde de l’ingénierie des grands travaux avait exacerbé la régulation contractuelle entre les acteurs, en supposant implicitement que le sens des responsabilités et le poids des pénalités pouvaient garantir chacun contre l’incertitude de l’engagement des autres; force est aujourd’hui de constater que cet outil de coordination se révèle plus efficace pour augmenter le chiffre d’affaires des spécialistes en contentieux que pour diminuer les dérives des projets.

On s’achemine donc vers la mise au point de compromis entre deux formes de coordination qui se complètent plus qu’elles ne s’opposent.

Ce compromis, qui peut évoluer en fonction de l’avancement du projet, est forcément conditionné par le positionnement du projet au regard des diverses grilles d’analyse qui ont été présentées.

C’est ainsi que le développement de l’ingénierie concourante a conduit les entreprises (de type A dans un premier temps) à réviser leurs modes de relations avec leurs fournisseurs et partenaires (Midler, Garel et Kesseler, 1997 ; Garel, 1999,). Benghozi, Charue-Duboc, Midler, 2000).

De nouveaux modèles de relations interfirmes se mettent en place, sous les dénominations de partenariat ou de codéveloppement. Ici encore, l’importance d’une vision contingente et diversifiée de ces dynamiques est nécessaire. Midler (2001) propose une typologie de ces situations de coopération interfirmes au sein des projets en fonction des variables suivantes:

  • Les niveaux d’incertitudes et les enjeux associés à la coopération. Les modalités et les contraintes de la coopération diffèrent selon qu’il s’agit de recherches sur des compétences génériques, éloignées de débouchés immédiats (grande incertitude, faibles enjeux de marché direct), de développement de produit (fort enjeux de marché, plus faible incertitude) ou de co-conception en avance de phase des projets de produits (fort enjeux, forte incertitude), ce qu’illustre le tableau 1.
Tableau 1 : Différentes situations de relation entre intégrateur final et fournisseur de 1er rang en conception.
  • La nature de l’objet de la coopération. Le produit développé est-il ou non facilement décomposable en composants ou sous-systèmes? Si c’est le cas, il est possible de définir assez clairement les périmètres d’intervention des différents partenaires. Dans le cas où les interfaces sont difficiles à distinguer, nous nous trouverons au contraire dans une situation d’interaction continue qui suppose une autre organisation.

Le modèle de co-développement entre constructeurs automobiles et grands équipementiers s’est construit ainsi sur cette partition du produit auto en composants, systèmes, fonction, modules… Mais beaucoup de relations inter-entreprises en conception ne peuvent rentrer dans ce schéma. C’est en particulier le cas des relations avec les entreprises créatrices d’un nouveau produit et les fournisseurs de process.

  • Le type de contribution des partenaires. S’agit-il d’une conception en alliance dite «complémentaire» entre client et fournisseur ou au contraire d’une alliance «additive» entre deux entreprises concurrentes? Dans ce second cas on imagine aisément les tensions qui peuvent apparaître et donc l’importance de la régulation contractuelle, la difficulté à construire la cohésion d’une équipe-projet à partir d’entreprises par ailleurs concurrentes…
  • Le caractère «poussé» ou «tiré» du processus de conception. Dans une alliance «complémentaire», l’objectif recherché et les problèmes rencontrés sont très différents suivant que l’initiative de la coopération vient du client ou du fournisseur.

Dans le premier cas, il s’agit de trouver des réponses techniques à une cible marché, dans le second, il s’agit d’explorer les débouchés intéressants d’une technologie. Dans le premier cas, l’initiateur du partenariat dispose d’un pouvoir de prescription important sur les méthodes de conception conjointe; dans le deuxième, il doit convaincre ses clients de travailler sur ses idées.

  • Le contexte professionnel du partenariat. S’agit-il d’un secteur fermé et stable dans lequel les acteurs sont connus et interagissent fréquemment (automobiles, industries manufacturières…), d’un milieu très hétérogène, instable et ouvert (BTP)? Dans le premier cas, les régulations mises en œuvre s’inscrivent dans une philosophie de coopération à long terme, de «jeu répété» où les réputations et les rétributions peuvent se compenser sur le long terme.

Dans le second cas on mettra beaucoup plus d’emphase sur les formes contractuelles, afin, d’une part, de construire un cadre de travail en commun et, d’autre part, de dissuader, mais aussi de préparer les contentieux éventuels.

Ce référentiel permet de caractériser la grande variété des situations que l’on trouve derrières la dénomination de «partenariat» de conception: co-développement, «co-apprentissage» en avant-projet (Midler, 2001), co-conception en alliances additives (Piron, 2000).

Introduction de nouvelles formes de contrôle dans les projets à coûts contrôlés

Les procédures formelles de contrôle ont conduit, avec le développement de l’informatique, à une culture du reporting conduisant, dans de nombreux cas, à une focalisation excessive sur la production de chiffres au détriment de leur analyse (voir Giard).

Ce manque de pertinence n’est qu’en partie imputable à une granularité trop fine des informations traitées, c’est la technique de contrôle qui peut s’avérer inefficace en cas de projet complexe soumis à de fortes contraintes. D’une manière plus générale, on sait que les choix organisationnels et méthodologiques influent sur les comportements des acteurs.

La cause première des échecs et dérives majeures de projet est donc plus à rechercher dans la pertinence de ces choix que dans l’incompétence des acteurs.

C’est sur la base de ce constat que c’est développé en management de projet, à partir des années quatre-vingt, l’approche d’une auto-organisation fondée sur des méta-règles, substituant au contrôle détaillé du réalisé, un contrôle a priori sur les procédures d’organisation et de pilotage du projet.

Les méta-règles sont un ensemble de principes très généraux non contradictoires d’où l’on va pouvoir tirer, pour faire face à un problème donné (ici un nouveau projet), un ensemble cohérent de règles spécifiques.

Les méta-règles ont été élaborées chez Spie Batignolles pour formaliser, à partir de l’expérience acquise, les principes d’action communs aux grands projets de l’entreprise (Jolivet & Navarre, 1993 et Jolivet, 1998 & 2001).

À partir de l’analyse de cent projets, dix-sept méta-règles ont été rédigées et consignées dans un petit «livre vert»; aux antipodes du manuel de procédure, la méta-règle sert à baliser l’autonomie de l’acteur-projet, à le responsabiliser sur le résultat. (la responsabilité du chef de projet, découpage du projet, explicitation des objectifs, revue de projet, dialogue plutôt que contrôle, travailler avec un chef de projet chez les fournisseurs…).

Cette approche par méta-règles se diffuse dans certains grands projets à rentabilité contrôlée pour permettre à une équipe-projet d’élaborer ses règles de fonctionnement interne, et éviter l’usage de procédures prédéterminées, lourdes, peu compatibles avec les relations de confiance a priori qui caractérisent le fonctionnement de ce type d’équipe.

Jolivet (1998 & 2001) propose 22 méta-règles applicables à bon nombre de projets parmi lesquelles on trouve:

  • Le chef de projet s’organise à partir des méta-règles; il définit l’organisation et les méthodes de gestion.
  • La tutelle est intégrée et prend les décisions stratégiques: ces décisions peuvent être préidentifiées.
  • Le processus de développement est adapté au projet: il est arrêté par la tutelle après consultation du chef de projet.
  • Le développement se fait par «focalisation successives»: l’analyse globale est de plus en plus nette.
  • Les objectifs sont arrêtés après un développement suffisant du projet.
  • Le chef de projet est responsable devant la tutelle; il reçoit une délégation de type «tout sauf».
  • Le chef de projet se consacre uniquement au projet; si les projets sont petits, il dirige un portefeuille de projets.
  • L’organisation est spécifique au projet, elle est évolutive et intégrée chaque fois que nécessaire.
  • Le chef de projet a la maîtrise des ressources humaines: il a le choix des participants au projet (avec, au minimum, le droit de récuser).
  • Le chef de projet définit les prestations des services internes: détachement de personnel, équipes dédiées, expertise, etc.
  • Le chef de projet choisit et gère les fournisseurs, il décide également du découpage contractuel.
  • Les responsabilités sont découpées par sous-ensembles.
  • La qualité, les coûts et les délais sont gérés de façon intégrée.
  • Le chef de projet assure une gestion «pro active»: projection à terminaison, adaptation des processus.

Jolivet souligne que ces méta-règles, qui semblent relever du bon sens, sont en réalité subversives parce qu’elles remettent en cause un certain nombre de principes d’organisation bien établis.

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